Le vin en biodynamie : empirisme, dérives et science
Affublé d’une étiquette « plus bio que bio », le vin biodynamique attire de nombreux épicuriens en quête de plus de naturalité. Mais que se cache-t-il vraiment derrière ces bouteilles certifiées Demeter ou Biodyvin qui ont le vent en poupe ? Décryptage.
Vins en biodynamie : voie du futur ou simple effet de mode ?
La part des vignobles conduits en biodynamie reste encore bien modeste, puisqu’elle ne représente que 1 % des surfaces viticoles à l’échelle mondiale (contre 9 % pour le bio). Pour autant, des domaines de renom comme celui de Pommard ou de la Romanée-Conti s’y sont déjà convertis. Et sur toutpourleresto, plusieurs agriculteurs ou vignerons recensés pratiquent la biodynamie (comme la ferme Fruirouge, le Domaine des Orchis, le Domaine Arretxea…) ! Alors, tendance à suivre ou feu de paille ?
Dans une période où les questions environnementales et sanitaires sont au cœur des préoccupations, la biodynamie ouvre effectivement des perspectives séduisantes et non dénuées d’intérêt, en prônant le respect du vivant et de la biodiversité. Néanmoins, il apparaît tout aussi juste (comme le soulignent ses détracteurs) de voir dans la veine biodynamique une vaste opportunité marketing, portée par la rassurante image « bio premium » qu’elle s’est construite… Image qui ferait presque oublier les conceptions obscurantistes de son fondateur ! La labellisation sème par ailleurs la confusion dans l’esprit du consommateur non averti, qui ne distingue pas clairement « bio » et « biodynamie »…
Qu’est-ce que la biodynamie ?
La biodynamie est une approche agricole holistique mise au point dès 1924 par un Autrichien, Rudolf Steiner. Essentiellement née de la seule intuition de ce philosophe, elle s’articule autour de principes ésotériques, philosophiques et spirituels. Elle ne fait ainsi l’objet d’aucun consensus scientifique.
Dans la conception biodynamique, les interactions entre le sol, les plantes, le vivant et les forces cosmiques occupent une place centrale. Le domaine agricole ou viticole s’assimile à un écosystème interconnecté et interdépendant qu’il faut constamment maintenir dans un état d’équilibre. Pour y parvenir, ses artisans s’adonnent à des pratiques qui pourront sembler singulières, voire occultes, allant de l’observation des cycles lunaires aux préparations « dynamisées » de plantes.
Les grandes pratiques de la biodynamie
La « préparation 500 », qui occupe une place essentielle dans la biodynamie, consiste à remplir des cornes de vache de bouse, puis de les enterrer pour les laisser fermenter durant plusieurs mois, avant de les déterrer et de diluer la préparation dans de l’eau de pluie (100 grammes pour 30 à 50 litres d’eau par hectare). Le brassage (la « dynamisation ») est réalisé durant « une heure exactement », après avoir fait tiédir l’eau jusqu’à 37°C, soit la température du corps humain.
Cette préparation, une fois répandue sur les sols, permettrait de développer l’activité microbienne, favoriser la croissance des racines vers la profondeur, réguler le pH du sol.
La « préparation 501 », aussi appelée « silice de corne », est un autre pilier de la biodynamie. Pour celle-ci, la corne de vache doit être remplie de quartz broyé. Enterrée durant 6 mois avant d’être diluée dans l’eau et brassée, cette préparation améliorerait la photosynthèse et le système immunitaire de la plante ainsi que la qualité des fruits.
Six autres préparations, notées de 502 à 507, existent et intègrent au compost du millefeuille, du pissenlit, de l’écorce de chêne, de l’ortie… L’utilisation de ces 8 préparations doit suivre le calendrier lunaire et planétaire. Selon le Mouvement de l’agriculture bio-dynamique (MABD), il est en effet nécessaire de « travailler avec les rythmes cosmiques, solaires (saisonniers et journaliers), lunaires et planétaires. » Selon la position de la lune et des planètes, des jours Fleur, Fruit, Feuille et Racine sont établis chaque année. Les deux premiers sont préférables pour travailler la plante (donc pour la taille ou les vendanges par exemple), les deux suivants seront privilégiés pour le travail des racines (par exemple, le labour). Adopter ce calendrier permettrait d’obtenir des vins plus subtils et délicats.
Entre science et empirisme
Si aucune de ces pratiques ne met en danger la santé du consommateur, la biodynamie soulève de nombreuses controverses du fait de l’absence de fondements scientifiques. Bien que régulièrement louée dans les médias, dans les supermarchés ou même dans les restaurants, elle est aujourd’hui considérée comme une « pseudo-science », voire une « magie ésotérique ». Difficile, en effet, de mesurer objectivement l’impact des rythmes cosmiques sur la vigueur des plants de vigne ! Quant aux préparations 500 ou 501, les doses prescrites (100g pour 50 litres d’eau pour un hectare) sont qualifiées « d’homéopathiques » par ses détracteurs. Suffisent-elles à stimuler les sols ? Une étude de 2021 va dans ce sens mais est loin de faire l’unanimité.
Il ne faut pas non plus passer sous silence que la biodynamie est une vitrine importante pour l’anthroposophie, doctrine élaborée par Rudolf Steiner. Dirigée depuis la Suisse par la Société anthroposophique universelle, ce mouvement défend des principes contestés dans des domaines aussi divers que l’agriculture (et la biodynamie), l’éducation ou la médecine. Il a par ailleurs longtemps été l’objet de signalements à la Miviludes : le rapport 2021 dénombre 31 saisines pour l’anthroposophie contre 33, par exemple, pour l’Eglise de la Scientologie.
Dans le milieu viticole, il est cependant intéressant de noter que la biodynamie s’expérimente de différentes manières. Si certains s’y plongent avec un mysticisme quasi religieux, la plupart se contentent d’une approche pragmatique. Les vignerons adoptent ainsi certaines techniques et en rejettent d’autres… comme la pulvérisation de cendres de lapins ou de mulots sur les vignes, pourtant vantée par Rudolf Steiner. Les cornes de vache, en revanche, gardent tout leur intérêt. Pourquoi les utiliser ? Steiner pensait qu’elles permettaient de concentrer les forces astrales (ou « cosmo-telluriques »), tout comme la vessie de cerf. Les cornes devaient idéalement provenir de la même région que le vignoble, sans quoi les forces contenues dans les cornes pourraient « entrer en conflit avec les forces attachées à la terre ». L’empirisme et les croyances jouent un grand rôle pour les défenseurs de la biodynamie, et les études scientifiques manquent pour les contredire.
Vin bio et vin biodynamique : quelles différences ?
Encadré par des normes européennes, un vin certifié bio bénéficiant des labels AB/Eurofeuille interdit le recours aux pesticides et herbicides chimiques pour traiter et désherber les pieds de vigne (ce qui impose un travail mécanique). Les maladies telles que le mildiou sont jugulées via des traitements naturels, à l’instar de la bouillie bordelaise. La teneur en sulfites des crus est également abaissée par rapport à ceux issus de l’agriculture conventionnelle (100 mg/L en bio contre 160 pour un vin classique).
Le vin biodynamique passe nécessairement par une pré-conversion à l’Agriculture Biologique et répond à un cahier des charges encore plus draconien. Les intrants sont drastiquement limités et substitués aux préparations évoquées ci-dessous, qui subissent un processus de « dynamisation ». L’accent est également mis, par exemple, sur la réduction des sulfites (70 mg/L).
Pour autant, fait-on facilement le distinguo entre les deux ? À en croire ses partisans, la viticulture en biodynamie concentrerait les sucres, les polyphénols et les anthocyanes dans les grains de raisin. Du côté des scientifiques, en revanche, on reste sceptique. D’après Jean Masson, chercheur à l’INRA, interrogé en 2019 dans les colonnes de Libération : « à ce jour, aucune étude scientifique n’a montré d’avantages de la biodynamie par rapport au bio classique ».
Au palais aussi, les conclusions sont mitigées : si certains experts pointent une acidité et une profondeur plus marquées, voire une évolution plus fruitée et plus complexe en bouche, aucune étude en double aveugle n’est encore parvenue à établir la supériorité du vin biodynamique sur le vin biologique ou conventionnel… ni l’inverse ! Quel que soit le vin, l’expérience de dégustation reste donc l’occasion d’apprécier le moment présent et de reconnaître le travail passionné du vigneron.